Pêche Mouche

Raymond ROCHER, un pêcheur de légende

14 mai 2015

Je n’ai connu Raymond Rocher qu’à travers ses écrits. Quand l’annonce de son décès a été faite sur le site, il m’est apparu comme une évidence que Gobages devait rendre hommage à ce pêcheur-écrivain de talent très apprécié, comme le montrent les messages de sympathie publiés dans cette discussion du forum.

Je connaissais l’amitié qui le liait à Gérard et j’ai donc demandé à ce dernier si il voulait bien rédiger un article pour Gobages.

Merci Gérard d’avoir accepté de nous faire partager ces moments de complicité que vous avez eus.

Patrick

Raymond ROCHER est né en 1929 en Haute-Loire à Saint-Julien-Chapteuil. Cette charmante bourgade est traversée par une petite rivière la Sumène et ses affluents le ruisseau du Fraisse et de Neyzac.

C’est sur ces petits rus que le démon de la pêche, qui sommeillait en lui sans qu’il s’en doute, surgit. Avec son frère, il pêchait les vairons et les barbelles à la fourchette, c’est ainsi qu’il réalisa qu’il était né pêcheur.

Quelques années plus tard, il entra au lycée de Tournon en Ardèche, il partait en vélo pendant ses jours de congé pêcher les rives du Rhône et d’un de ses affluents le Doux. C’était pendant l’occupation allemande, il pêchait à Tain-l’Hermitage les ablettes avec une canne en roseau.

Il débuta sa carrière de pêcheur de truites sur la Cladriège en Ardèche en pêchant au lancer léger, mais c’est sur l’Escoutay que sa passion pour la pêche à la mouche prit jour avec un matériel rudimentaire composé d’une canne en bambou avec une poignée en bois qui lui donnait des ampoules à la main.  Une soie parallèle trop légère l’empêchait d’effectuer des lancers à bonne distance, tout au plus quelques mètres. À son bas de ligne était fixée une imitation de mouche de maison certainement achetée sur le catalogue de Manufrance. Les chevesnes furent ses premières prises.

Vers la fin des années 1950 sur l’Ardèche, Raymond prit sa première truite fario en pêchant au fouet, une Red-Tag avait séduit une belle mouchetée de 400 grammes. Ce beau poisson lui inocula définitivement cette maladie incurable pour les vrais pêcheurs à la mouche.

A partir de cette époque, il voulut pêcher toutes les belles rivières de France, mais aussi à l’étranger. Professeur d’anglais, il me raconta un jour qu’il partait au début de ses congés annuels en Angleterre, puis il prenait le chemin du retour en pêchant en Bavière puis au Tyrol, l’Autriche avec ses rivières somptueuses. Il terminait son périple dans le Vercors puis en Ardèche avant de reprendre son travail.

Sa rencontre avec Frank SAWYER, garde-chef sur le Parcours des Officiers sur le Haut Avon dans le Wiltshire, lui permit d’améliorer ses premiers essais de pêcheur en nymphe à vue qu’il pratiquait déjà en France grâce à la correspondance et aux nymphes que lui avait données son ami Frank. Il peaufina par la suite cette technique de pêche et publia un ouvrage monumental, Confidences d’un pêcheur à la mouche.
Ce livre fut le premier que j’ai acheté, il m’a fait progresser rapidement dans le difficile apprentissage d’un pêcheur débutant, il a été mon livre de référence pendant toute ma carrière de pêcheur, toujours d’actualité je le consulte encore actuellement.
Randonnées d’un pêcheur solitaire, Des ronds dans l’eau, Confidences d’un moucheur impénitent, La pêche à la mouche moderne en France, Pêche à la nymphe font partie de l’impressionnante littérature qu’il nous lègue.

Raymond ROCHER a fréquenté les plus grands pêcheurs de son époque, Aimé DEVAUX, Jean Paul PEQUEGNOT, Frank SAWYER, Jack HEMINGWAY, Léonce de BOISSET sont les personnages qu’il m’a cités le plus souvent.

Jack Hemingway, Lodge de la Piquette sur la Loue.

Jack Hemingway, Lodge de la Piquette sur la Loue.

Raymond ROCHER était un homme affable, aimant les discussions qui concernaient sa passion de la pêche à la mouche. Il aimait se tenir au courant des rivières qu’il avait arpentées, la dégradation et la mortalité des poissons d’une de ses rivières préférées, la Loue, le tenait en souci, mais il m’avoua que c’était également le triste sort des rivières de sa jeunesse.

Malgré son caractère affirmé c’était un homme affable et de bonne compagnie, extrêmement sollicité soit par téléphone, soit par courrier. Il n’autorisait les visites à son domicile qu’à une liste de quarante personnes amies ou correspondantes de longue date. Il aimait la bonne chère. Partager un repas avec lui au restaurant de Tournon sur-Rhône était passionnant, toujours très instructif, mais de temps en temps survenait la phrase cinglante de l’ancien professeur d’Anglais à son auditoire, « ne m’interrompez pas» qui le laissait converser tranquillement pour un bon moment.

Quai du Dr Cadet - Tain l'Hermitage

Quai du Dr Cadet – Tain l’Hermitage

Lors de ces bons moments de convivialité, où la pêche était bien sûr le principal sujet, Raymond nous faisait part de son vécu et de l’évolution de la pêche à la mouche moderne. Il était, tout comme moi, très attaché à la pêche à la mouche sèche et à la nymphe à vue, toute autre forme de pêche avec un fouet pratiquée en aveugle ne l’intéressait pas. Une fois le repas terminé, nous retournions à son domicile prendre le café et déguster une dernière poire williams dont il était friand. Le retour chez mes amis à Saint-Cyr sur Rhône était souvent difficile.

Restaurant à Tournon-sur-Rhône

Restaurant à Tournon-sur-Rhône

Il avait déjà un peu pêché la Loue à Mouthiers Haute-Pierre en 1960, mais c’est en 1967, grâce à Jean-Paul PEQUEGNOT et Michel HIVET, qu’il put fréquenter les pêches très fermées à l’époque de Cademène et Chenecey-Buillon. Il avait été impressionné par la qualité des rivières très riches en insectes et poissons de belle taille.  Pour l’époque il les trouvait déjà très éduqués. Il disait d’ailleurs dans son livre : « Randonnées d’un pêcheur solitaire » que les Franc-Comtois étaient des pêcheurs nés, qu’il avait trouvé des pêcheurs aussi fou que lui et que c’était réconfortant. Il comprenait pourquoi cette vieille province avait fourni tant de fameux pêcheurs et grands monteurs.

En juin 1989, je suis (encore pour peu de temps) garde-pêche de l’AAPPMA de Cléron sur la Loue, je décide de faire une tournée en milieu d’après-midi. Comme le temps est propice, je resterai pour faire le coup du soir. Après quelques contrôles de routine, j’arrive «aux Isles Gon», une voiture immatriculée dans la Drôme est stationnée sur le parking ombragé. Sans me faire repérer, je m’approche du pêcheur, la soixantaine, pas
de matériel dernière mode et clinquant, il pêchait merveilleusement bien, pas de faux lancers inutiles, des « poser » très précis, j’ai vu tout de suite que j’avais affaire à une vielle main au fait de son art. Après une bonne heure de planque, il avait déjà pris trois belles truites, je décidais donc d’intervenir.

Je m’approche doucement de l’homme pour ne pas déranger sa zone de pêche et je me présentais en lui déclinant ma qualification. Très courtois, il posa son fouet et me présenta son permis, en voyant l’identité sur la carte je restais un moment sans réaction. L’homme qui était devant moi était celui qui, par ses ouvrages m’avait tout appris, nous devisons cordialement et comme mon interlocuteur est particulièrement sympathique il me montra ses boites à mouches, j’étais particulièrement intéressé par l’Altière et ses nymphes, elles provenaient de la maison DEVAUX.
Après plus d’une heure à converser, je décidais de laisser pêcher en paix ce pêcheur si courtois, il s’agissait de Raymond ROCHER.

RR4

J’ai revu plusieurs fois Raymond sur la Loue, il pêchait à Cléron, la pêche de Cademène lui était interdite, il pêchait trop bien. Il logeait à quelques minutes de mon domicile à Epeugney, au petit hôtel café restaurant chez Côte, idéalement situé pour qui veut pêcher la Haute et la Basse Loue. C’est grâce au Docteur Yves RAMEAUX qui est aussi un de mes amis qu’il est venu pêcher le Lodge de la Piquette, puis l’âge eu raison de son solide physique de baroudeur-pêcheur, il ne vint plus en Franche-Comté mais continua de pêcher encore quelques années dans le Vercors sur la société des Grands-Goulets.

Une des boîtes à mouches du Maître

Une des boîtes à mouches du Maître

l'Altière

l’Altière

Une importante correspondance écrite et téléphonique s’ensuivit, il voulait toujours être au courant des histoires de la Loue, me conseillait pour les rares articles que j’écrivis pour une revue halieutique. Ses lettres étaient toujours décorées d’un petit dessin humoristique, je lui rendis quelquefois visite à son domicile des bords du Rhône.  Généreux avec ses amis, il me donna quelques cadeaux écrits et pièces de collection qui sont en bonne place dans mon atelier de montage.

Article mouche d'Ornans

Article mouche d’Ornans

Correspondance Raymond ROCHER

Correspondance Raymond ROCHER

Pêche mouche traditionnelle

Pêche mouche traditionnelle

Humour

Humour

 

Mouche et asticots

Mouche et asticots

La mauvaise nouvelle est tombée il y a quelque jours. Raymond est parti rejoindre ses vieux amis partis avant lui pêcher des rivières de rêve. Tu étais l’un des derniers montres sacrés. Merci Raymond pour tout ce que tu nous a apporté, je te souhaite des pêches somptueuses avec tes Altières et Pheasant Tail.

Avec cette lettre que tu m’avais envoyée, tu partiras avec le souvenir des rivières que tu as pêchées en Franche-Comté il y a quarante ans. Qu’elles étaient claires et limpides à cette époque !

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Adieu Raymond…

Gérard PIQUARD
Montrond le Château (Doubs)
13 mai 2015

 

 

 

 

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